Avant-projet de la nouvelle constitution: Mamadi Doumbouya appelé à réagir sur le cas des langues maternelles
LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, GENERAL MAMADI DOUMBOUYA:
Monsieur le Président, permettez moi de m’adresser à vous et à votre Haute responsabilité à travers cette lettre ouverte. Le sujet que je veux aborder est d’une haute importance qu’elle est pour moi vitale et existancielle pour le devenir de notre nation que nous chérissons tous.
Le sujet que j’aborde, dans ce tournant decisif de la redéfinition du devenir de notre pays, enclanché par le CNRD depuis le 5 septembre 2021, c’est l’Officialisation de nos langues nationales dans le projet de constitution de notre pays, et qui doit être soumis au référendum.
M. Le Président, loin de moi l’idée d’un donneur de leçon, je suis juste, au même titre que vous, préoccupé pour le devenir de notre nation. Et je puis vous dire sans un atome de doute, qu’il n’y a point de développement pour une nation responsable sans que sa/ses langue.s ne soient l’outil de l’administration et de l’enseignement.
Loin de moi l’idée de vous apprendre des choses, je veux juste être quelqu’un qui exprime sa sincère préoccupation au premier responsable de son pays.
Monsieur le Président, la constitution, selon un dictionnaire français,
est une »Loi ou charte fondamentale qui détermine la forme du gouvernement, qui règle les droits politiques des citoyens et qui dicte la politique d’un État ou d’un groupe d’États ». En d’autres termes, elle est le document qui détermine le fonctionnement, la structure d’un peuple sur un territoire donné. Par conséquent, elle doit refléter ce qui est ou ce qui doit être la société qu’elle régie. Ce qui veut dire, que chaque société a sa propre loi fondamentale en fonction du peuple le composant.
Ainsi, dans l’élan de doter la Republique de Guinée d’une loi fondamentale qui RESSEMBLE et qui RASSEMBLE le peuple guinéen, sous votre leadership, la rédaction d’une nouvelle constitution a été enclenché par le Conseil National de la Transition (CNT), dirigé par Dr. Dansa Kourouma.
M. Le Président permettez moi de féliciter ici le Président du CNT, Dr. Dansa Kourouma, quant à la démarche inclusive dans le processus de l’élaboration de cette nouvelle constitution.
Je voudrais aussi saluer des nouveautés que cette nouvelle constitution apporte dans la structure de l’Etat. Mais, il y a un sujet qui n’a pas été suffisamment abordé qu’elle puisse ressembler véritablement à l’aspiration du peuple de Guinée. Il s’agit des langues officielles.
Une langue officielle est l’ »idiome d’un État ou d’une organisation stipulé comme tel par la constitution, la loi ou le règlement et qui est adopté pour la rédaction des textes officiels, la communication avec les administrés et, dans le cas d’États, pour l’enseignement ». En terme simple, c’est la langue officielle qui est utilisée pour gouverner un peuple; utilisée pour la transmission des connaissances.
Monsieur le Président, nous voulons, au même titre que le français, l’officialisation de nos langues nationales.
-ériger nos langues nationales en Langues officielles, c’est permettre la participation effective de toute la population à la gestion des affaires de leur pays;
-ériger nos langues aussi comme langues officielles, c’est permettre à ceux qui gèrent les affaires du peuple de s’exprimer directement dans les langues du peuple;
- Monsieur le Président, selon l’Intitut National de la Statistique (INS) en 2016, c’est seulement 17,1% de la population guinéenne qui savent lire et écrire dans une langue étrangère. Ainsi, ériger nos langues aussi comme langues officielles, c’est permettre à plus de 80% de la population guinéenne de participer activement à la gestion du pays.
Jeannine Routier-Pucci dit qu’ »une langue est une façon de voir, d’appréhender, de classifier et d’établir des relations entre les choses : c’est à la fois l’expression et l’invention du monde qui entoure le locuteur ». Alors, choisir également nos langues comme langues officielles, c’est permettre une diversité d’opinions, de penser qui concours à la construction d’une nation inclusion.
M. Le Président, la Guinée ne sera pas le seul pays où il ya plusieurs langues officielles. Dans le monde, c’est le multilingusme qui est la norme, le monolingusme en est l’exception.
Le multilingusme n’est jamais un problème, mais on en fait un problème.
Nos langues coexistent depuis des siècles, et cela n’a jamais été un problème pour la cohabitation harmonieuse.
M. Le Président, la divergence entre les gens n’est pas du fait qu’ils ne parlent pas la même langue. Non, elle provient plutôt du fait qu’ils n’ont pas la même vision des choses, ou qu’ils n’ont pas les mêmes approches pour aborder quelque chose. Les gens se rassemblent autour d’une vision et d’un ideal, pas autour d’une langue.
Si les gens se rassemblaient parce qu’ils ne partageaint pas la même langue, il n’ y aurait pas d’union européenne, puisque ses Etats membres ne parlent pas qu’une seule langue; Si les gens se réunissaient autour d’une seule langue, il n’y aurait pas de BRICS aujourd’hui; Si les gens se rassemblaient autour d’une seule langue, les camarades Sekou touré, Saifoulaye Diallo, Lansana Beavogui, Mafory Bangoura ne seraient pas des compagnons de lutte; si c’est une seule langue qui unit les gens, le peuple de Guinée ne voterait pas NON le 28 septembre 1958; si c’était une seule langue qui rassemble, il n’y aurait pas de relation bi ou multilatérale; si c’est une seule langue qui est synonyme d’union, certains n’auraient pas vécu la guerre.
Ce qui manque à la Guinée et à l’Afrique en général, c’est avoir une vision commune.
Quand il y’a l’union dans la diversité, c’est en ce moment qu’on parle véritablement de RASSEMBLEMENT.
Certains mettrons en avant que dans l’avant projet de la constitution, que l’Etat garandit la traduction des lois et des actes officiels de la république dans nos langues nationales. Monsieur le Président, pourquoi ne pas permettre aussi à un fils ou fille du pays de s’exprimer directement dans leur langue, puis traduire cela dans les autres langues nationales et en français ?
À ce que je sache, nous ne sommes pas sur un territoire étranger où nous plaidons en faveur de nos langues.
M. Le Président, certains vous diront que nous exagerons, du fait qu’on a parlé de l’enseignement de nos langues dans l’avant projet constitutionnel. Permettez moi de vous dire M. Le Président qu’il y a une très grande différence entre Enseignement de NOS langues et Enseignement DANS nos langues. Le premier (enseignement de langue) se veut de faire apprendre la »grammaire, le vocabulaire et les formes linguistiques écrites et orales destinés à l’acquisition d’une seconde langue distingue de la langue maternelle ». Unesco; le deuxième (enseignement dans la langue ou langue d’enseignement) est la »langue dans laquelle est dispensé l’enseignement scolaire (et) est le vecteur de communication par lequel s’effectue la transmission du savoir ». Unesco.
Entre les deux, le plus bon pour une nation, c’est l’enseignement dans nos langues. Cela permet l’acquisition facile des connaissances et la préservation de l’identité culturelle et societale. Solomana Kanté le disait dans l’un de ces poèmes: » ce qu’on peut apprendre dans une langue étrangère en trois ans, nous pouvons les apprendre dans notre propre langue en trois mois ». Ce qui sous-entend, que l’Afrique en général passe plus de temps à apprendre les langues d’autrui que d’apprendre les sciences pour la transformation véritable de nos sociétés. Or, il’ y’a pas de développement sans un système éducatif efficace.
Et pour une éducation de qualité, il faut l’enseignement dans nos langues.
Déjà, la Republique de Guinée avait entamé l’enseignement dans nos langues de 1968 jusqu’au moment où ils ont jeté l’eau du bain et le bébé en 1984.
A la demande de Dr. Dansa Kourouma le 13 février 2023, la Coalition pour la Promotion des Langues Maternelles-CoLaM a produit un rapport-diagnostic faisant le bilan de la politique linguistique du premier régime, en précisant les points faibles et forts. Ce rapport-diagnostic a été remis officiellement 23 Mai 2023, lors du Débat d’Orientation Constitutionnel.
Ce rapport nous révèle qu’il y avait plus de points forts (dans les domaines culturel, économique, politique, scientifique, pédagogique, linguistique et cognitif) que de points faibles. Pourquoi ne pas appliquer cette politique en la corrigeant et en l’adoptant ?
En effet, dans le volet langue, quant on se fi à l’histoire, l’officialisation de nos langues au même titre que le français serait la plus grande réforme que le CNRD aurait posé, à l’occurrence vous M. Le Président.
Monsieur le Président, si vraiment nous voulons faire la volonté du peuple en élaborant une constitution qui leur ressemble, sans aucun doute, nos langues seraient comme langues officielles au même titre que le français.
J’ai suivi les interventions des personnalités, des structures lors des débats d’orientation constitutionnel, je puis vous attester que la plupart était pour l’officialisation de nos langues.
Lors de la réunion entre le CNT et les Organisations de la société civile et Organisations socio-professionnelles autour de l’avant-projet de la nouvelle constitution dont j’ai pris part, beaucoup était aussi en faveur de l’officialisation de nos langues au même titre que le français.
La volonté populaire devrait être le tremplin pour les prises de décisions pour la nation.
M. Le Président, si on vous fait croire que la population n’est pas prête pour l’officialisation de ses langues, on vous trompe. En septembre 2022, la Coalition pour la Promotion des Langues Maternelles (CoLaM) dont je suis le coordinateur général a lancé une compagne de plaidoyer en ligne et dans 11 villes de la Guinée, y compris Conakry. Parmi les recommandations, figurait au premier point, l’officialisation des langues nationales à côté du français. Après seulement deux semaines de campagne, » seulement deux semaines », nous avons pu obtenir près de 13 000 signatures qui soutiennent le contenu dudit plaidoyer.
À la suite, le 15 février 2023, le plaidoyer avec les copies des environs 13 000 signataires a été remis officiellement au président du CNT Dr. Dansa Kourouma.
Cela demontre encore une fois, la volonté populaire sur cette question.
M. Le président, je ne vais vous le cacher, la refondation ne sera une reussite sans cette dimension linguistique. Et les solutions sont nombreuses pour une intégration linguistique parfaite.
Veuillez recevoir, Monsieur le Président de la Republique, cette lettre avec mes sincères respects.
IBRAHIMA LONCEBALITE KONATE, COORDINATEUR DE LA COALITION POUR LES LANGUES MATERNELLES, AUTEUR.